Calme troublé .

Mes doutes, et cet indicible espoir.

Je lançais mon couteau en l’air tout en le rattrapant à chaque fois par le manche. Le soleil se couchait, le ciel adoptait peu à peu toutes les nuances de l’arc-en-ciel pour rester un moment sur un ton caramel, tirant vers le rose. La lune se reflétait déjà dans l’eau claire et je suivais le chemin depuis un moment déjà. J’en avais déjà assez de la ville, de tout ce monde, de toute cette foule. Je sentais ici une brise légère caresser mon visage encore un peu trop enfantin. Des mèches se perdaient entre mes yeux et je les repoussais de manière éphémère car elles se remettaient déjà en travers de ma vision. Ma main se glissait dans ma nuque pour la masser sommairement. Mes yeux se posèrent sur la cascade, l’eau y coulait évidemment de façon abondante et je m’accrochais à un rocher où l’eau ne coulait pas pour m’y asseoir. Des gouttes fraiches et folles m’atteignaient mais c’était agréable, alors je restais à ma place. Quelques lucioles commençaient à montrer le bout de leur nez, leur faible lueur due à la lumière toujours présente éclairait à peine. Comme c’était étrange de se sentir libre après autant d’années de captivité. Je me souvenais de cette pièce noire, tellement noire. Tellement sombre. Je sentais encore sa froideur, cette horreur. Ces coups. Et pourtant, pourtant, je n’en voulais à personne, comme si toutes ces horreurs avaient forgées mon caractère, avaient fait de moi ce que j’étais à présent.

Pourquoi haïr la douleur lorsqu’elle nous fait grandir ?

Je m’allongeais finalement sur la pierre froide et mes yeux se plongèrent dans le ciel qui commençait peu à peu à s’assombrir. Les lueurs des lucioles se faisaient de plus en plus voir. Des petites touches brillantes entre les branches. Ma main glissait de mon ventre à l’eau froide de la cascade, mes doigts reposant entre les flots. Je fermais les yeux en prenant une grande aspiration. Quelques craquements de branche, des animaux sûrement. Quoique. Non. C’était bien animal, la respiration n’était pas humaine. J’ouvrais les yeux à nouveau. Depuis combien de temps ne m’étais-je pas détendue ? Est-ce que cela arriverait un jour ? Que je ne sois plus aux aguets ? Que mon corps entier ne soit plus en permanence en alerte. J’entrouvrais les lèvres et un doux chant s’échappait, avec douceur. Je m’arrêtais alors brusquement. Une respiration humaine.

La voix d’un ange peut-elle habiter le corps du diable ?

Calme divin, souffle infernal.

La respiration était bien celle d’un humain. Et une voix masculine ne tardait pas à accompagner le bruit des pas. Je retirais délicatement mes doigts de l’eau tiède et me redressais. L’homme était débout, perchée sur mon rocher, je le regardais en contrebas. Ses cheveux d’ébènes virevoltaient à cause de la brise légère qui s’était prise de la clairière. Je l’observais un moment sans un mot. Il était sûrement dans l’armée, peut être était-ce évident de part sa carrure, ou bien grâce à la façon dont il portait ses vêtements, ou encore à son arme. Je reportais mes yeux vairons aux siens qui étaient d’un bleu profond. Les miens étaient différents l’un de l’autre, l’un blanc, l’autre bleu, mais cela se remarquait-il dans la nuit ? J’en doute. Quoique la lueur des lucioles était bien présente. La lune était pleine, peut être que cela expliquait pourquoi je n’arrivais pas à dormir malgré quelques coups de fatigue, les astres pouvaient tellement facilement nous influencer. Il est vrai qu’il était rare de trouver compagnie ici, surtout à une heure pareille. Mais visiblement, les paroles de l’homme montraient qu’il avait l’habitude de se rendre dans cet endroit. Pourtant, je ne l’y avais jamais croisé, moi qui y venais chaque soir depuis que j’étais sortie de ma captivité. Evidemment, le calme qui régnait ici était atrocement attirant, qu’importe de se trouver seul, le bruit de l’eau, le frôlement des gouttes, les rayons de lunes, toutes ces choses étaient amplement suffisantes. Pourquoi s’encombrer d’une présence ? Malgré le fait qu’il s’était montré à moi, j’avais senti sa présence bien avant son apparition.

« La compagnie dans ce genre d’endroit est toujours superflue. »
Souriais-je.

Mes yeux quittèrent alors les siens et je levais les yeux vers la voûte céleste, les étoiles brillaient tout aussi fort que la lune ce soir. Je m’adossais contre la pierre froide de la cascade et quelques gouttes roulaient le long de mon dos, je sentais leur tiédeur à travers le tissus de ma chemise et je les sentais s’infiltrer dans mon corset, mais ce n’était que de l’eau, cela viendrait à sécher. Je reposais mes yeux sur l’homme plus bas et plongeais mes yeux dans les siens.

« N’étiez-vous pas là bien avant que vous vous montriez ? »
Demandais-je sans détacher mes yeux des siens.

Aurais-tu peur de l’inconnu ?

A l’évidence il se méfiait. Je ne pouvais que remarquer qu’il restait aux aguets, tout comme moi, il ne baissait jamais ses gardes. Je suivais des yeux un bref instant sa main qui restait près de son épée. Je le suivais ensuite des yeux lorsqu’il s’asseyait sur le rocher. Quel âge pouvait-il avoir ? Aucune idée. Je ne pouvais réellement discerner son visage. Un homme, c’était tout ce que je savais. Instinctivement ma main glissait à nouveau dans l’eau, mes doigts se laissant sommairement emportés par le rythme du liquide. Je gardais toujours mon regard vers l’homme, peut être que cela était aussi dû à mon éternelle méfiance. Je me demandais ce que quelqu’un pouvait chercher dans la solitude d’un tel lieu. Moi, je ne connaissais personne, et je ne devais me lier à personne, alors je ne cherchais aucunement à me faire quelconque relation, mais lui ? Ou peut être cherchait-il simplement le calme ? Après tout, ici, c’était parfait. Donc il m’avait vue, rien d’étonnant, j’étais beaucoup trop voyante malgré la nuit, dans les reflets de la cascade. Mais il était bien doué, la façon dont il avait tourné sa phrase montrait immédiatement qu’il voulait savoir mon identité.

« Le mystère d’une identité est tellement attirant. »
Soufflais-je.

Un délicat sourire se dessinait au bord de mes lèvres. N’était-ce pas vrai ? N’était-ce pas affreusement attirant lorsque l’on était sous l’emprise d’un mystère ? Comme si une chose nous échappait malgré nous et que nous voulions savoir. Mais pourquoi savoir ? Mais parce que c’est un mystère, parce que cela nous tient en haleine. Quoique je doute que mon identité ait une telle emprise sur un homme comme celui qui se tenait près de moi. Sur n’importe quelle personne d’ailleurs, après tout je n’étais qu’une inconnue, quel intérêt y avait-il à me connaître ? Je sentais alors une pierre coupante glisser le long de mon doigt, je le remontais alors doucement et regardais l’entaille et le sang perler au bout de mon annuaire.

« Aie . . . »
Très léger, s’était échappé de mes lèvres au moment où j’avais senti la lame.

» Tout est trop calme ...